Dans son intervention sur la thématique « Le recours au droit contre les discriminations raciales
dans l’emploi », Robin Médard Inghilterra, docteur en droit et chercheur à l'Université Libre de Bruxelles va poser la problématique en ces termes : « Pourquoi existe-t-il peu de recours et à fortiori de condamnations pour des discriminations fondées sur des raisons raciales ou d’origine ethnique
devant les juridictions du droit social et pénal ? »
Il explique que c’est une question complexe, et qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ce
faible contentieux puisque le format est relativement limité. Cependant il va essayer d’insister particulièrement sur le rôle de deux facteurs qui à son sens expliquent ce faible contentieux des juridictions sociales. Mais, il insiste d’abord sur un constat connu, si on s’attache aux enquêtes relatives aux perceptions de la discrimination raciale, le comportement évidemment fréquent dans le domaine de l’emploi en 2020, le troisième baromètre, dans le cadre de cette étude de discrimination dans l’emploi réalisée par le défenseur de droit, 43% des français expliquent avoir été témoin de
discriminations fondées sur l’origine ethnique dans le cadre de l’emploi.
Toujours en 2020 une même étude non plus au niveau des témoins, mais au niveau des victimes, 21% des personnes qui expliquaient avoir subi une discrimination disaient que cette discrimination était fondée sur le motif de l’origine ethnique.
Et un troisième exemple de discrimination, 38% des personnes perçues comme noirs et 33% perçues comme non blanches, généralement qui considèrent avoir des propos et des comportements racistes dans le domaine de l’emploi. La séquence des comportements discriminatoires est évidemment non contestée, elle est bien établie, elle est documentée, et elle ne fait pas débat. La question est de savoir pourquoi, malgré cette fréquence, on a aussi peu de décisions de recours devant les juridictions de droit social.
Pour l’explication, il se concentre sur deux facteurs :
1. Le premier facteur important qui peut l’expliquer, il lui semble, c’est l’absence des représailles. C’est-à-dire lorsque la relation d’emploi et la relation contractuelle contre la victime et l’auteur de la discrimination parvenue, parce que, par exemple la discrimination, elle ne va pas se manifester en
licenciement mais plutôt par un blocage de l’avancement de carrière, par une placardisation. Evidemment il y a un risque à contester cette discrimination subie. Le risque c’est de perdre son emploi en étant, en plus licencié précisément parce qu’on a dénoncé une discrimination et c’est d’ailleurs ce que démontrent plusieurs études comme celle du défenseur du droit qui nous montre que parmi les personnes qui ont subi une discrimination, et qui n’ont rien dit et qui n’ont rien fait, 68 % d’entre elles expliquent leur inaction par la crainte des représailles de la part des auteurs de la discrimination. Donc le constat ici est valable pour l’ensemble des motifs qui n’est pas spécifique à la discrimination raciale. Et il y a une exception seulement dans les motifs qu’il va évoquer plus tard. Simplement, évidemment pour cela il s’applique aux discrimination fondées sur la prétendue race. Essayer de s’en saisir pour voir comment il est possible de dynamiser ce contentieux. En tout cas essayer de répondre à ce phénomène. Et il pose la question de savoir ce qui peut être fait en réaction : Si on regarde le contentieux, le nombre de juridictions rendues par le droit social, on se rend compte qu’il y a un motif qui s’en sort beaucoup mieux que les autres, qui est beaucoup plus
saisi, qui est beaucoup plus contesté devant le conseil des prud’hommes. Ce motif est celui des activités syndicales. Et pourquoi ce motif de la discrimination fondée sur des activités syndicales est davantage prisée aux contentieux. Une des principales explications, c’est que les délégués syndicaux, les personnes susceptibles de subir les discriminations sur leurs activités syndicales vont bénéficier d’un statut particulier, ce qu’on appelle le statut de salarié protégé. C’est-à-dire que ces personnes-là ne peuvent pas être sanctionnées ou licenciées sans l’avis du comité de l’entreprise et sans l’avis conforme, c’est-à-dire l’autorisation explicite de l’inspecteur du travail qui doit vérifier que la sanction et les motifs de licenciement vis-à-vis de ces personnes est bien fondée.
C’est avant tout un moyen de sécuriser leurs activités syndicales dans l’entreprise, mais c’est aussi un moyen de protéger leur droit d’agir en justice. Par ce qu’on peut vérifier par ce filtre, par l’inspecteur de travail que la sanction aux licenciements ne vient pas répondre à une contestation en justice d’un comportement de l’employeur. Puisqu’il y a ce filtre de l’inspecteur du travail, puisque les personnes ne peuvent pas être sanctionnées ou licenciées simplement selon le bon vouloir de l’employeur. Cette crainte des représailles, le poids qu’elle a, l’effet dissuasif qu’elle a est atténué. Donc ceci est une possible, si on veut dynamiser le rose devant les juridictions sociales pour les salariés victimes de discriminations raciales cette fois, et bien cette possibilité ce serait de défendre le statut de salarié protégé à toutes les personnes qui dont leur relation contractuel, et qui entendent contester devant les juridictions de discriminations subies. Cette personne qui conteste les discriminations pourrait être sanctionnée ou licenciée, cela ne neutralise pascomplètement le pouvoir de l’employeur, parce que tout simplement il y aurait le filtre de l’inspecteur du travail notamment et du comité de l’entreprise plus accessoirement qui permettrait de vérifier que la sanction n’est pas liée à la contestation de la justice. L’idée étant encore une fois de sécuriser le droit d’agir en justice, qui en l’état est complètement une théorie et illusoire à l'absence d’une telle protection.
Il croit que cela serait donc un premier moyen mais qui serait même assez efficace pour essayer de dynamiser le contentieux.
2. Deuxième facteur explicatif du faible nombre de recours devant les juridictions sociales évoquées, c’est dire que les syndicats agissent beaucoup moins pour ce motif, notamment si on pousse un peu loin, les syndicats agissent presque exclusivement majoritairement lorsqu’il s’agit des activités syndicales. Ce que l’auditoire sait sans doute, mais les syndicats ont la possibilité de pouvoir agir à la place d’un salarié contre son employeur pour discrimination. Il rappelle que le salarié est dans une relation de subordination vis-à-vis de son employeur. C’est ce qu’on appelle une action de substitution. Alors le mécanisme, mais qui n’est pas important pour les détails de l’article, mais par l’article n 64 -2 du code pénal du code de travail. Et cet article est efficace pour dynamiser le contentieux à la moindre raison. La première raison est que cela protège le salarié. Il met le salarié dans une relation de subordination vis-à-vis de l’employeur. Le fait que ce soit le syndicat qui vienne à la place du salarié permet dans une certaine mesure de créer une forme de bouclier et donc d’atténuer aussi la crainte des représailles parce qu’il y a une organisation syndicale qui est censée être dans un rapport de force beaucoup plus équilibré avec l’employeur qui se saisit du contentieux. Raison pour laquelle c’est un moyen de protection. En plus de la protection en représailles, c’est un moyen d’accompagnement du salarié. Il rappelle qu’il s’agit de l’amener une action en justice en matière de discrimination. Un contentieux qui est complexe et les personnes ne savent pas quoi faire précisément, si on reprend cette même étude du défenseur de droit, et qu’on regarde les raisons pour lesquelles les personnes qui ont subi une discrimination n’agissaient pas,
le deuxième facteur est le fait que les personnes ne savaient pas quoi faire. Et là aussi l’accompagnement du syndicat, éventuellement l’expertise qu’il veut fournir, est un élément efficace pour dynamiser le contentieux.
Les actions de substitution sont des outils relativement utiles et efficaces. Mais alors lorsque l’on regarde pour quel motif les syndicats exercent une action en substitution et bien on se rend compte, dans le contrat, qu'elles agissent essentiellement ou substantiellement lorsqu’il s’agit ….
Alors pour le démontrer, il a examiné une quarantaine d'affaires qui ont donné lieu à une ou plusieurs décisions de publication entre 2001 et 2020 dans laquelle il y a des condamnations de substitution de la part d’un syndicat comme la CGT. Alors si on regarde la répartition, c’est est cela qui l’intéresse. C'est-à-dire les motifs de discriminations dans lesquelles pour lesquelles des contentieux où il y avait eu une action de substitution, il observe la chose suivante. La quasi-totalité
des actions des syndicats concernent à 80% les motifs des activités syndicales et 3% seulement, cependant il signale que les chiffres doivent être relativisés, il y a une quarantaine de décisions, en gros dans une seul décision parmi celles qu’il a examiné, il s’agissait d’origine ethnique. Ce
constat, il n’est évidemment pas exhaustif, il n’a pas examiné les décisions, néanmoins cela reste extrêmement représentatif. Il croit, et cela démontre l’action des syndicats, qu’elle est concentrée autour d’un motif au détriment des autres et la race ne vient que loin derrière après l’âge, le sexe et surtout du contentieux concernant les activités syndicales.
Alors que peut-on faire ici en réaction ? Ce n’est pas une modification législative ou un problème d’extension du statut du salarié protégé. Là, c’est vraiment aux acteurs et aux syndicats de se saisir de la question et cela dépend de leur stratégie.