Pourquoi obliger le migrant à engager des rapports de force
de plus en plus durs alors que le processus de régularisation est une constante
sous la Vème république ? Régularisation à « postériori » d’1,4 million de travailleurs
étrangers sous de Gaulle, de plusieurs dizaines de milliers sous Pompidou et
Giscard et cela malgré un contexte difficile de crise. Tout le monde se
souviendra aussi du début de la présidence Mitterrand et de l’espoir retrouvé
pour les plus de 130 000 personnes régularisées. Une constance, de la
régularité dans les régularisations.
Si la régularisation de 1981 concerne majoritairement
l’immigration de travail celle de 1991, qualifiée « d’exceptionnelle », est à
visée « humanitaire » : elle est liée à la hausse des demandeurs d’asile
survenue dans le contexte de la chute du Mur de Berlin. Quelques années plus
tard, quand le gouvernement Jospin lance de nouvelles vagues de régularisation,
en 1997 et en 98, cette fois encore ce n’est plus le seul critère du travail
mais celui de l’existence d’un lien familial qui est mis en avant. Sur 150 000
demandes, 90 000 personnes seront régularisées. Ce sera ensuite au tour de Nicolas
Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, de s’intéresser à la question. En 2006,
après deux ans de mobilisation du Réseau éducation sans frontières, et pour satisfaire
une opinion publique choquée par les expulsions de familles d’enfants
scolarisés, il propose une régularisation sur critères : mais sur 30 000 dossiers
déposés, près de 7 000 seulement connaitront une issue favorable. Dans cette
opération, les quotas et l’arbitraire régneront en maître, autant que dans la
nouvelle opération de régularisation de travail obtenue sous la pression de la
CGT en 2010. Parmi les 4 000 dossiers déposés, seules quelques centaines seront
retenues. Une régression.
Généreuse ou pas, la régularisation s’inscrit dans notre
histoire républicaine comme dans une perspective européenne car nous ne sommes
évidemment pas le seul pays de l’Union à régulariser. C’est pourquoi il faut garder
raison en abordant cette question et fuir tous les enfermements idéologiques.
Fuir aussi tous les arguments fallacieux. Par exemple celui d’une
régularisation « globale » que l’on oppose malhonnêtement à une régularisation
au « cas par cas ». Comme si les partisans de l’une ou l’autre méthode
ignoraient que chaque dossier ouvert porte un nom et que les régularisations
s’effectuent selon des critères. Que ceux-ci soient à revoir, tendent vers une
plus grande objectivité et soient énoncés clairement pour mettre fin à
l’arbitraire, c’est évidemment une dimension incontournable. Mais si l’on veut avancer
sur ce thème, il faut d’abord en finir avec l’illusoire débat de la régularisation
« globale ».
Les réfractaires à toute régularisation avancent l’argument
du pourcentage élevé d’étrangers sans emploi. S’il est vrai que le chômage
frappe davantage les étrangers (17,9 % ) que les Français (8,3 %), il est aussi
démontré que pour les étrangers non communautaires le taux de chômage s’accroît
avec le niveau de qualification. Ce qui tenterait à prouver que la question se
pose d’abord en matière de d’air, il
faut simplement rappeler que 97% de la population mondiale est sédentaire, et
que ce n’est pas une circulaire ministérielle d’un pays donné qui va mettre une
statistique en mouvement. Pas de bouleversement donc à attendre sur le marché
de l’emploi, d’autant plus qu’aujourd’hui comme hier, les travailleurs immigrés
occupent des postes dans les secteurs en tension : bâtiment, restauration, services,
sécurité, nettoyage…
Dans un monde où les déséquilibres démographiques et
économiques ne cessent de croître, l’approche idéologique et restrictive de la
régularisation prônée par le gouvernement depuis 2007 nous paraît intenable et
pour tout dire assez peu responsable. La régularisation est un outil qui doit
atténuer les effets néfastes d’une politique d’immigration trop stricte. C’est
pourquoi nous espérons que ce dossier sera l’un des premiers ouvert à
l’occasion du prochain changement politique à la tête de l’État. Nous attendons
d’une gauche au gouvernement qu’elle engage un processus de régularisation sur
la base de critères clairs permettant d’en finir avec le pouvoir
discrétionnaire des préfectures. Ils pourraient être liés à la durée de
présence en France et à la capacité de produire une promesse d’embauche. Un
gouvernement de gauche s’honorerait d’engager ce processus qui redonne de la
dignité à l’Homme, à tous les invisibles qui se lèvent tôt pour faire avancer
la France. Ce serait une belle manière de tourner la page d’une France frileuse,
repliée sur une peur de l’autre qu’elle auto génère. La régularisation est une mesure
qui implique justice et courage. Deux qualités dont la gauche n’est pas avare.
Espérons-le.
Pierre Henry de
France Terre d'Asile
www.france-terre-asile.org