INTERVIEW : Philippe Meirieu.Meirieu s’en va-t-en guerre contre l’échec scolaire !
Nadjib SELLALI : Phillipe Mérieu, c’est quoi l’échec scolaire ?
Phillipe Meirieu : C’est très difficile de définir ce qu’est l’échec scolaire sauf si on le définit en termes d’adaptation aux normes scolaires. L’école impose des normes, donne des certifications et on peut considérer que : Est en échec scolaire celui qui ne réussit pas à rentrer dans ces normes et à obtenir ces certifications. Si l’on creuse un peu plus les choses,n on peut dire que l’échec scolaire c’est la difficulté pour quelqu’un de s’approprier les savoirs scolaires. Mais plus profondément, il faudrait parler d’échec d’apprentissage parce que c’est ça qui est le plus grave.
N.S : Justement quels sont les vecteurs majeurs qui conduisent à l’échec scolaire ?
P.M : Ce que nous savons depuis très longtemps, c’est que l’échec scolaire et relié très fortement à l’origine sociale de l’enfant et malheureusement ça ne passe pas avec le temps. On voit bien que l’échec scolaire s’accroît et particulièrement dans les milieux populaires défavorisés. Ca tient à des raisons matérielles qui relèvent des conditions de vie. Mais il faut rajouter que l’origine sociale n’est pas absolument déterminante. Parce que si elle l’était, ça voudrait dire qu’il n’y aurait aucun élève des milieux défavorisés qui réussissent, ce qui n’est pas le cas, et ça voudrait dire aussi que tous les élèves des milieux favorisés réussissent et ce n’est pas vrai non plus. Donc il y a deux autres facteurs absolument déterminants : le facteur personnel et le facteur pédagogique
N.S : Après avoir parlé des élèves, intéressons nous aux parents et à l’aide à la parentalité.…
P.M : En France, il n’existe pas de dispositif pour aider les parents. L’aide à la parentalité est très peu traitée. En revanche, ce qui existe c’est une multitude de dispositifs pour les enfants comme des systèmes d’aide aux devoirs, d’étude dirigée, d’aide personnalisée, d’accompagnement individualisé… Tous ces systèmes ont le mérite d’exister, en revanche l’énorme danger c’est qu’ils sont très nombreux et que beaucoup de parents ne s’y retrouvent pas. Face à ce vrai problème, il faudrait pouvoir définir ces dispositifs en nommant clairement ce qu’ils sont et à quoi ils servent. Ainsi, on pourra aider les parents à s’y retrouver tout comme les élèves d’ailleurs…
N.S : Peut-on dire que parfois les parents attendent trop de l’école ?
P.M : Non, on n’attend jamais trop de l’école, il faut être exigeant envers l’école de la République. Ce qu’il ne faut pas, c’est croire que l’école, à elle seule, peut tout faire. L’école ne peut pas faire sans les parents, mais elle ne peut pas faire non plus sans la société civile, sans une prise de conscience des médias et sans le tissu associatif. L’école ne peut pas faire sans l’ensemble des acteurs éducatifs. Donc bien sûr, il faut beaucoup attendre de l’école, bien sûr il faut un sursaut éducatif global de l’ensemble de la société pour l’éducation.
N.S : Est-ce que les parents ont une responsabilité dans l’échec scolaire de leurs enfants ?
P.M : (Silence) C’est très difficile de dire ça. Evidement certains parents ne savent pas s’y prendre mais est-ce pour autant de leur faute si eux mêmes n’ont pas été scolarisés ou sont dans des conditions de vie extrêmement difficiles. Je crois que la plupart des parents sont tout d’abord démunis. Ils ne savent pas comment faire pour aider leurs enfants ! Il faudrait pouvoir les aider et la France a pris beaucoup trop de retard sur l’aide à la parentalité.
N.S : Quels ingrédients faudrait-il pour construire une école égalitaire ?
P.M : Dans une école égalitaire, il faudrait que les élèves en grande difficulté bénéficient d’aides particulières. Il faudrait que les écoles, collèges et lycées professionnels de ZEP bénéficient de dotations supplémentaires parce qu’ils ont des élèves en grande difficulté. Donc une éducation égalitaire est une éducation qui donne plus et mieux à ceux qui en ont vraiment besoin.
N.S : Continuons sur le domaine de l’égalité, et parlons de ce phénomène qui tisse sa toile depuis quelques années sur le marché de l’éducation. Je veux parler de sociétés comme Acadomia…
P.M : Il y a effectivement une multitude d’officines privées de soutien scolaire. Ceux sont des officines qui spéculent honteusement su l’angoisse des familles, qui tentent de faire croire qu’elles peuvent miraculeusement résoudre les problèmes d’échec scolaire. Alors parfois elles aident… mais ce que je voudrais souligner ici, sans stigmatiser ni critiquer, c’est que pour éviter la prolifération de ces officines il faut que l’école fasse mieux réussir les élèves afin qu’ils n’aient pas besoin de ces « aides ».
N.S : Pour conclure, qu’est-ce qui manque à la formation des enseignants pour qu’ils puissent faire face à certaines situations difficiles ou pour qu’ils puissent se sentir à l’aise dans certains établissements scolaires ?
P.M : Moi j’ai tendance à penser qu’il manque beaucoup de pédagogie. Je suis très inquiet car il me semble que sans pédagogie, sans capacité à faire face aux groupes un peu remuants, sans capacité à traiter sereinement un certain nombre de questions comme, les sanctions, la discipline, … un certain nombre de professeurs risquent d’osciller entre répression et dépression sans savoir véritablement faire cours de manière efficace. Je suis très inquiet sur la formation des enseignants, d’autant plus que c’est un investissement à long terme, il ne faut absolument pas le négliger à fortiori le sacrifier !
Site officiel de Phillipe Meirieu : www.meirieu.com
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