Comparution immédiate, ou les raccourcis de la justice

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Lundi, 15 Novembre, 2010
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Palais de justice. Course contre la montre. Il est 10h31 quand Tahar passe à la barre. Il sera 11h01 quand sa comparution sera bouclée. 30 minutes écoulées exactement. 30 minutes pour juger d'une affaire en correctionnelle? Cela fait partie de ce qu'on appelle "la comparution immédiate". En si peu de temps, certains peuvent penser que ce n'est pas assez pour juger une affaire qui peut bouleverser toute une vie, mais cela est légalement suffisant pour en faire des raccourcis, qu'il s'agisse de comprendre l’accusé, ou qu'il s'agisse de le défendre. Reportage.

Les noms des protagonistes ont été changés par des noms d'acteurs célèbres.


Tout va vite. Ce jeudi 14 octobre, pour Tahar, même pas dix jours après son arrestation : tout va très vite. Dans cette 24ème chambre du Palais de justice de Paris, tout le monde parle vite. L'avocat de la défense (Christian Clavier) parle vite. La procureure générale (Glenn Close) parle vite. Et le président de la cour (le juge Cordier) énonce les faits, sur un rythme aussi fulgurant: « …accompagné d'un groupe d'une dizaine d'individus, Tahar Rahim a agressé dans le métro trois jeunes. Il a été vu donner un coup de pied... ». Dès aujourd'hui, il devra attendre au fond de la salle la fin de tous les jugements, pour connaître à quelle sauce on va le cuisiner. Il a été invité à la barre à 10h31, il s'est rassis à 11h01. Ca sera de la justice fast-food. Mais pour lui, l'attente commence maintenant. Il me confie: "J'ai le cœur qui bat".

Rien ne sert de courir, faut partir à point. A point? Pour Yacine, ça a l'air bien cuit, voire grillé dès le départ. Le juge Cordier a avoué avoir recours à des raccourcis quand au début, il a indiqué le métier de l'accusé: "éducateur" alors qu'il est "animateur". « Oui, c'est... on se comprend, avoue donc le président, j'ai fait un raccourci ». Exactement. En matière de comparution immédiate, la route vers la justice semble trop longue: tout doit aller plus vite, et encore plus vite. Même la vérification d'identité des témoins de moralité se fait en direct. Le témoin sera interrompu plusieurs fois par le juge, comme dans une partie de ping-pong effrénée au milieu de ses réponses. On n'a pas le temps. Il n'y a pas le temps. Le juge peut rendre son verdict vitesse grand V, comme tout à l'heure dans une des affaires précédant celle de Tahar : l'accusé a été condamné à verser des amendes s'élevant à 300 euros, au bout de 12 minutes. Ce verdict, Tahar l'a entendu. Il était déjà présent. Depuis 9heures ce matin, les affaires défilent sur ce rythme d'enfer. Comme son cœur, Tahar doit se rappeler des coups à la porte qui l'ont précipité ici, se rappeler du jour de son arrestation.

L'affaire du métro, dont il conteste une grande partie des faits, notamment le caractère "groupe", "bande organisée", "gang de quartier", remonte au 29 septembre 2009. Mais il y a seulement 10 jours, le 3 octobre de cette année, les gardiens de l'ordre sont venus l'arrêter chez lui. Puis Tahar a été directement conduit en garde à vue... prolongée. C'est ce jeudi 14 octobre qu'il est jugé en comparution immédiate. Moins de dix jours après son arrestation, le voilà dans ce Palais de justice. Tout est allé si vite, mais depuis 11h01, le suspense, à coups de battements de secondes dans la poitrine, a repris ses droits. Tahar doit attendre. Et pendant ce laps de temps, ce qu'il entend, et ce qu'il voit du système judiciaire, entre cafouillage et improvisation... n'est pas fait pour le rassurer sur son futur sort.

D'abord, il y a cette affaire, ce cafouillage, cette histoire de comparution erronée : « comme la 1ère convocation a été reçue un dimanche, il a fallu une seconde, mais sur celle-ci, il n'était plus mentionné les deux agressions pour lequel l'accusé est jugé ce matin» m'explique une voisine. Du coup, c'est la règle: tout est à refaire... une autre fois. Toutefois, même quand le dossier arrive, proprement, s'ajoutant à la pile des autres mis en attente, la rapidité d'exécution peut pousser à une improvisation qui peut coûter chère. Exemple. Madame Glenn Close, la procureure, ne connait pas parfaitement le dossier de l'affaire qui suit, mais dans son bref réquisitoire, elle propose tout de même 4 mois fermes. Et tout ça, Tahar le devine, Tahar l'entend, Tahar le voit que ce rythme n'aide pas forcément à la compréhension, à l'appréciation, et au jugement. Mais Tahar va bientôt être fixé.

Pendant qu'il attend, pas loin, la secrétaire d'Etat à la Famille, Nadine Morano, a fait son entrée aux assises de la délinquance juvénile qui se déroule au Palais. Et Tahar va bientôt être fixé. Lui, son coeur a fêté cette année son 19ème anniversaire. Il attend d'apprendre comment le verdict va souffler son avenir. Pendant ce temps-là, dans la salle, le juge Cordier entonne le refrain « c'est notre pain quotidien ». Il fait allusion aux actes de rébellion et aux arrestations énergiques. « On ne fait que ça ». Dans cette autre affaire, la victime a été « visée à l'épaule mais… a reçu la matraque dans le visage ». Documents médicaux à l'appui, le jeune homme, qui est jugé ce matin pour rébellion, a porté plainte à l'IGS (Inspection Générale de la police nationale). « Il faut des gestes de violence pour déterminer s'il y a rébellion. Rester sans bouger, les pieds au sol, ce n'est pas de la rébellion » rappellera l'avocat de la partie civile. Tahar se souvient que la sienne, d'arrestation, n'a pas été « énergique ». Seulement, ça s'est passé chez lui, et il a été menotté sous les yeux de son petit frère. Puis emmené directement en cellule. « J'ai dormi à 10 dans un 9mètres carré, sur du béton. Il y avait qu'une seule couverture. C'était au premier arrivé. Ca puait. Avec des excréments au mur. 2 jours en garde à vue. Suivie d’une journée au "dépôt". Dans ces conditions, c'est tendu ». Ensuite, jusqu'au jour du jugement, Tahar a été placé sous contrôle judiciaire. « Je devais pointer ». Et Tahar va bientôt être fixé. Son cœur aussi.

Dans un autre dossier, le juge Cordier plaisante: « on pourrait s'installer là, et ne plus jamais en repartir, tellement il y en a, là-bas... ». L'affaire se passe dans le XIXème arrondissement de Paris. Et Tahar va bientôt être vite fixé. Lui aussi, ça s'est passé dans ce quartier, métro Hoche. Pendant ce temps-là, en bas des marches du Palais… une femme, Malika, « née en 1971 à Amiens », mime une révérence, et crie sa colère : « je n’ai pas la bonne couleur de peau, c’est ça ? On est les rebus de la société : on n’a pas d’argent ! La justice condamne les innocents, les « sans argent » ». Et Tahar va bientôt être vite fixé. Question revenus, lui, il est animateur, uniquement pendant les vacances. Pour se défendre, il a eu droit à un commis d’office. En 10 jours, depuis la date de son arrestation, combien de fois Tahar a pu voir son avocat ? Une fois. Avec Christian Clavier, son avocat, ils se sont vus qu’une seule fois. Ca ne laisse pas beaucoup de temps pour écumer le dossier. Christian Clavier l’avoue à la cour : « je ne sais pas s’il a fini son baffa mais… ». Mais il n’y a pas que ça qui caractérise le manque de temps pour la préparation.

Christian Clavier va accumuler les maladresses, dans le style, dans le discours. « J’étais mal à l’aise, me confie Tahar Rahim, il avait trop de mal à parler ». Comme les autres avocats de la défense de la matinée, Christian Clavier n’est pas très audible. Il n’a pas autant d’assurance que l'expérimentée Glenn Close. Il butte sur les mots. Au lieu du verbe « remarquer », il emploie « reprocher ». Il se reprend. Comparé à la procureure, son plaidoyer parait long, incertain, peu précis. Christian Clavier fait une moins bonne impression que le témoin de moralité. Wesley Snipe, éducateur depuis 3 ans au sein de l’association de quartier à laquelle a appartenu Tahar, est posé, clair, et rassurant. Il décrit un Tahar Rahim, doux, médiateur et responsable, « qui est plus souvent un model qu’un contre-exemple ». Le portrait séduit la procureure : elle requiert seulement une « TIGE d’avertissement », un Travail d’Intérêt Général pour le remettre sur le droit chemin. « Ca va quand tu vois que la procureure n’est pas à fond contre toi » tente de se rassurer Tahar. L’ennui, c’est tout le contraire quand c’est de nouveau au tour de Christian Clavier : « il en fait trop alors que c’est pas la peine, il parle trop », s’inquiète Tahar. Christian Clavier revient sur des choses déjà digérées : le gang « qui n’en est pas », « l’incertitude de l’agression »… comme s’il n’avait pas écouté la procureure, il ne s’adapte pas à son réquisitoire. Le cœur de Tahar bat encore plus vite. Avec tout ça, Christian Clavier oublie le plus important aux yeux de Tahar : « l’inscription de la condamnation au bulletin 3 ». N’importe quel employeur a accès à ce bulletin, qui est la partie supérieure du « mille-feuilles » que compose un casier judiciaire.

Est-ce que la condamnation va apparaitre ? Est-ce qu’un futur employeur verra ce faux-pas de Tahar ? « Christian Clavier parlait trop, me murmure Tahar, qu’il en a oublié le plus important : mon avenir ». Tahar va bientôt être fixé. Et son cœur aussi. Il est 12h30, l’heure du verdict. Le juge Cordier énonce la sentence : « 40 heures de TIGE à faire bénévolement dans un délai de 18 mois, qu’il pourra effectuer dans une association, avec une taxe de 90 euros à payer. » Pendant la lecture finale, Christian Clavier glisse timidement une dernière volonté en forme de question : « … et ça paraîtra sur le bulletin 3 ? » Le juge Cordier, compréhensif, rassure l’avocat : « une fois le travail fait, ça disparaitra du bulletin ». Glenn Close précise : « il n’y aura pas de conséquences professionnelles ». Le manque de préparation, et d’attention, dans cette cadence infernale, a failli coûter très cher à Tahar. Cette fois-ci, Tahar a eu de la chance. Dernière minute, dernière erreur d’attention : une fois les portes de la 24ème chambre correctionnelle refermées, Christian Clavier sursaute: il a oublié de signer pour sa commission : « je ne serai pas payé… » Il ne recevra pas ses 45 euros de l'heure, prévus dans la loi pour l'aide juridictionnelle. Mais, pour Tahar Rahim, tout va mieux : son cœur se remet à battre... moins vite...


dolpi

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