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HK : « révolutionnaire dans l’âme »
Quel est ton regard sur ce qui se passe actuellement de l'autre côté de la Méditerranée ?
Il y a deux choses. Il y a effectivement ce soulèvement populaire et ceux qui disent que c'est presque trop beau pour être vrai. Moi, je n'irai pas jusque là. Je dirais que, effectivement, ce qui s'est passé en Tunisie était inattendu, très fort. Et en même temps, c'est presque mécanique. Quand tu sers l'étau, au bout d'un moment tu ne peux plus serrer, ça explose de partout. C'est une sorte de big-bang révolutionnaire qui a eu lieu en Tunisie. On parle de contagion. C'est marrant, parce que la contagion ça a la connotation de virus, c'est une chose généralement mauvaise. Mais en même temps, c'est ça. Ça se propage. C'est une joie. Etant moi-même du Maghreb, je pense qu'il n'y a rien de plus beau qu'un peuple qui se soulève pour ses libertés, pour ses droits fondamentaux, pour la démocratie. C'est la première des choses. Et je suis comme la plupart des gens, je suis les choses de très près, je suis très assidu.
En Algérie, ce n'est pas tout à fait pareil ?
C'est un peu plus complexe. L'Algérie a un vrai problème : c'est la caste des généraux. Ils sont quelques uns à tenir le pays. C'est hyper corrompu, dans des milieux hyper fermés. Mais la liberté d'expression y est quand même relativement présente. Il y a des journaux, des caricaturistes. Et en même temps, il y a une vraie corruption, une vraie main-mise du pouvoir.
Après, tout ça nous ramène à nous. C'est un peu le pendant de l'histoire. Est-ce que nous, nous sommes des démocrates ? C'est ça la question. Quand tu vois des gens sont dubitatifs ou n'ont pas envie d'accompagner ce mouvement, tu as l'impression qu'ils ne veulent pas pour les autres ce qu'ils veulent pour eux-mêmes. On a l'impression qu'ils se disent : « La démocratie pour nous, oui, mais pas pour les autres. Ces peuples-là n'ont pas besoin d'espoir, ils ne méritent pas la démocratie. » En plus, avec tout ce qui se passe à l'heure actuelle, on se rend compte que nos dirigeants sont amis avec des dictateurs. Peut-on être démocrate quand on est soi-même l'ami des dictateurs ? C'est la question que je pose. La réponse est "non" évidemment. Les tenants de la République et de la démocratie ne sont pas forcément ceux qui sont au pouvoir en ce moment.
Pourquoi avoir choisi "Citoyen du monde" comme titre d'album ?
C'est vraiment l'idée de rappeler que l'histoire de l'Humanité, c'est l'histoire des migrations des peuples. Et que le jour où on oublie ça, on cesse d'avancer, de se connaître soi-même. Et c'est la pire des choses qui puisse arriver. En même temps, c'est compliqué de prendre ce titre d'album parce qu'aujourd'hui les mots ne veulent plus rien dire. "Citoyen du monde", même cette expression est galvaudée. Mais, pour nous, elle a un sens fort, qui plus est dans le contexte actuel en France.
Le pendant de l'identité nationale c'est l'identité internationale. Dans la chanson "Citoyen du monde" justement, on se plaît à mettre en scène un sans-papiers s'adresse au Président. Alors qu'on les considère comme des moins que rien, même pas des êtres humains, des statistiques, des chiffres, des objectifs, c'est lui qui fait au Président une leçon d'humanité. Ça, ça nous plaît bien.
Le thème du sans-papier, de l'étranger semble récurrent dans cet album.
Oh, il y a aussi plein d'autres choses. Il y a ça aussi. Ce sont des histoires réelles. Nous sommes un peu des conteurs urbains. Lorsqu'on est touché, on rebondit. Et c'est vrai que ces histoires-là, malheureusement sont légions. Au final, on peut égrener un grand nombre de causes et on va se rendre compte que le mal est le même, que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Quand on parle de l'exclusion, de la précarité en France, à travers la chanson "Saltimbanque de fortune", ou bien la chanson "Jérusalem" qui est une parabole amoureuse entre un peuple et sa ville, donc qui évoque une situation illégale et injuste, on retrouve les mêmes schémas de domination. Au final, on pose toujours ces mêmes questions, on relève toujours la même histoire que « depuis que l'homme est homme, depuis que l'homme est loup », ce ne sont pas les bons et les méchants, ce sont les forts et les faibles et c'est comment les forts abusent de leur position dominante et comment le monde est construit sur un rapport de force et non sur un esprit de solidarité ou l'esprit des droits de l'Homme. Et nous, on se bat pour réhabiliter l'esprit de solidarité et l'esprit des droits de l'Homme qu'incarne magnifiquement un homme comme Stéphane Hessel. Et on est heureux quand on voit ce genre de personnage arriver sur le devant de la scène parce que d'un coup, avec toute son aura, avec toute sa légitimité personnelle, son parcours, il légitime aussi nos actes et nos discours alors que souvent on passe pour des marginaux, des fous, des utopistes. C'est un gros mot. Il faut t'excuser aujourd’hui d'être utopiste. Voilà le monde dans lequel on vit.
Tu es des quartiers de Roubaix ? Tu y retournes ?
Je suis de mon quartier, oui (rire). Je n'habite plus dans le quartier où j'ai grandi mais Roubaix c'est une ville quartier, on va dire. Je vis encore à Roubaix, pas exactement à l'endroit où je suis né mais pas très loin non plus.
Roubaix, c'est une ville de 100 000 habitants, j'allais dire c'est tout petit mais c'est assez étrange cette vill. C'est-à-dire que tout le monde connaît tout le monde. On se connaît tous les uns les autres et de fait, quand tu traînes encore là-bas, forcément t'es toujours connecté.
Arrives-tu à fédérer des énergies là-bas autour de ta notoriété, un peu comme le font Origines Contrôlées à Toulouse ?
Pas de manière organisée. Ce mythe des gens issus des quartiers qui reviennent avec une légitimité et qui arrivent à changer leur quartier, j'ai du mal à y croire. Moi je crois aux "exemplarités" de gens de ces quartiers. Nous, on fait de la musique, mais quand je vois nos potes, qu'un tel est médecin, que l'autre maintenant c'est le pharmacien et que chacun à leur niveau, chacun dans leur domaine, que chacun a réussi...
On a connu les mêmes choses. On parlait de discrimination, c'est pas un fantasme, ça existe. On connaît la forme très concrète, on l'a vécue... Mais en même temps, ça n'a jamais été un prétexte. Et surtout, au contraire, moi personnellement ça m'a toujours donné cette rage positive. Ҫa m'a toujours enragé mais enragé de manière à me dire « Ben ok, vous allez voir ». C'est comme ça que je fonctionne. Après tout le monde ne fonctionne pas comme cela malheureusement. Et je sais pour le voir dans ces quartiers qu'il y a plein de talents gâchés, qu'il y a énormément de gens qui se sont fait claquer la porte une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, qui ont baissé les bras, qui sont partis dans d'autres délires, ça existe. Et moi je crois beaucoup en ça.
Après l'unité du quartier, ça n'existe plus je crois. Je pense par exemple que ça a été un malheur, un désastre, cette histoire de dire : tu es né dans les quartiers donc tu es forcément de gauche, dans les années 80. Avec toute la récupération qu'il y a eu derrière, ça a été catastrophique. Parce qu’il y a une vraie grande diversité, et moi je suis content de cette diversité-là. Je suis content qu'il y ait des gens issus des quartiers qui peuvent réussir dans un domaine et parfois même dans des domaines comme la politique. Des gens qui peuvent terminer à droite alors que je gerbe sur les idées de droite mais je m'en fous à la limite, c'est juste que chacun dans son parcours puisse à un moment donné abattre cette fatalité et surtout, une fois que toi tu as réussi pour toi, si tu peux en porter ne serait-ce que deux, trois... C'est ce qu'on fait, évidemment. Ce sont des choses intangibles et en même temps, qui nous regardent nous et nous seuls. Et en même temps, c'est une philosophie qui est claire pour plein de gens. On connaît ce mal-là de la discrimination. On sait qu'il est pourri et que la discrimination, il faut la concevoir comme un crime parce qu’elle brise des destins et tue toute idée de projet collectif. Tu ne peux pas venir parler à quelqu’un de devoir quand tu n'arrives pas à lui donner ses droits les plus fondamentaux. L'égalité face au travail, face au logement... On arrive à tenir le discours de tolérance zéro à des petits gamins qui volent des mobylettes mais si tu n'arrives pas à tenir ce discours de tolérance zéro pour des chefs d'entreprise, qui pèsent plusieurs millions d'euros, à leur dire que à un moment donné les discrimination c'est un crime, ce sera puni comme tel, si on n'arrive pas à dire ça, on n'arrivera pas à changer les choses avec des bonnes intentions et des discours.
Tout ça nous renvoie toujours à la même question : pourquoi vous êtes révolutionnaire dans l'âme ? Parce que la Révolution était censée avoir aboli les privilèges et que les privilèges sont revenus par la petite porte. Et aujourd’hui, ils sont étalés devant nous et à un moment donné c'est pas possible, le deux poids deux mesures.
Propos recueillis par Christine Chalier
Crédit photo : Nadjib Sellali, tous droits réservés.
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