Derniers arrivés, derniers servis
La crise en Europe que l’on tente vainement de réprimer à grands coups d’austérité se mesure aujourd’hui à l’aune de populations de plus en plus fragilisées, de plus en plus précaires, de plus en plus «résiduelles» selon le terme consacré. A l’heure actuelle, il est urgent de repenser les politiques publiques de logement afin de répondre dans les meilleures conditions à une demande toujours plus pressante et d’éviter ainsi les dérives type marchands de sommeil, bailleurs crapuleux ou ultra-sélectifs. Car à ce petit jeu de la roulette russe, ce sont souvent les mêmes qui perdent, les plus vulnérables, les migrants, les sans-droits. Ainsi en Espagne, l’ONG Caritas a vu doubler le nombre de demande d’aide en deux ans, passant de 400.000 à 800.000 personnes à charge. 40 % sont des immigrés alors que le pays compte 11,3% d’étrangers. Selon un rapport de l’Observatoire de la Réalité Sociale de Caritas, le logement est un des droits sociaux les plus difficiles à exercer pour les immigrés en Espagne.
De même en Autriche s’exerce une ségrégation urbaine vigoureuse grâce à la libéralisation du système locatif, commune à de nombreux pays de l’Est. Elle est engendrée par la concentration géographique de ménages d’origine étrangère, ceci en raison de la réduction notable du nombre de logements sociaux. Les politiques de lutte contre les discriminations ethniques voulues par de nombreux gouvernements de l’Union pour enrayer un phénomène de ghettoïsation s’avèrent malheureusement difficiles à mettre en œuvre et sont souvent livrées au bon vouloir des administrations locales et de bailleurs qui se font tirer l’oreille. La Belgique a par exemple été pointée du doigt par un rapport du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme pour avoir introduit un critère d’attachement local dans son système d’attribution qu’il dénonce comme «un moyen d’empêcher les étrangers et les nouveaux arrivants de s’installer sur le territoire».
Cependant, sans sombrer dans les quotas ni dans la discrimination positive, certains Etats de l’Union tentent d’inventer une réelle mixité sociale grâce à des systèmes d’attribution plus transparents qui limitent le clientélisme et l’exclusion. Suite à une plainte sur la concurrence déposée par la Commission Européenne, les Pays-Bas ont dû revoir leur copie. Initialement ouverts à tous, les logements sociaux néerlandais sont aujourd’hui destinés aux ménages dont les revenus n’excèdent pas 33 000 euros par an, ce qui a eu pour conséquence de réduire la proportion de la population éligible de 100 % à 41 %. Mais c’est le système d’attribution, le Choice Based Lettings, mis en place dès la fin des années 80 et qu’ils ont en commun avec le Royaume-Uni depuis les années 2000, qui offre les meilleurs résultats contre la ségrégation urbaine : les logements vacants sont présentés sur internet ou dans la presse locale, les demandeurs choisissent l’habitation qu’ils préfèrent, chaque candidat se voit attribuer un nombre de points, calculés en fonction de critères explicités par le bailleur. Le logement est finalement attribué au candidat disposant du plus grand nombre de points. Le Housing Research Summary 231 fait état en 2006 d’une meilleure offre ainsi que d’une amélioration de l’accès au logement social pour les personnes vulnérables et les minorités ethniques grâce à une augmentation du nombre de logements proposés et une réduction des effets de ségrégation. Peut-être l’exemple à suivre en Europe.
Christine Chalier
Illustration : Droit au Logement
Publier un nouveau commentaire