Camel Zekri raconte Frantz Fanon, le penseur, le résistant, le guérisseur
L’auteur martiniquais de Peau noire, masques blancs devient médecin-chef d'une division de l'hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en Algérie, dès 1953. L’année d’après, c’est le début de la Guerre d’Algérie. Il s'engage auprès de la résistance et collabore à l'organe central de presse du FLN. En 1959, il publie L'An V de la révolution algérienne. En 1960, il est nommé ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne au Ghana. Il échappe à plusieurs attentats en Italie, au Maroc, mais c’est un cancer qui l’atteindra. Il meurt à Washington en 1961, regrettant presque de ne pas avoir été tué sur le terrain parmi ses compagnons de la résistance algérienne.
L’auteur-compositeur Camel Zekri rend hommage au djinn martiniquais avec Sous La Peau. Cette pièce de théâtre musical, en tournée dès le mois d’octobre, met en musique des écrits du docteur Fanon, des écrits qui tentent de guérir l’aliénation coloniale. Le petit-fils du grand maître gnawa Hamma Moussa de Biskra en Algérie, et cofondateur du Festival de l’Eau, a choisi des guitares et des gombris pour habiller cette Lettre à un Français écrite par Frantz Omar Fanon :
« Quand tu m’as dit ton désir de quitter l’Algérie, mon amitié soudain s’est faite silencieuse. Certes des images surgies, tenaces et décisives étaient à l’entrée de ma mémoire. Je te regardais et ta femme à côté.
Tu te voyais déjà en France…De nouveaux visages autour de toi, très loin de ce pays où depuis quelques jours les choses décidément ne vont pas bien.
Tu me l’as dit, l’atmosphère se gâte, il faut que je m’en aille. Ta décision sans être irrévocable parce que tu l’avais exprimée, progressivement prenait forme.
Ce pays inexplicablement hérissé ! Les routes qui ne sont plus sûres. Les champs de blé transformés en brasiers. Les Arabes qui se font méchants.
On raconte. On raconte.
Les femmes seront violées. Les testicules seront coupés et fichés entre les dents.
Rappelez-vous Sétif ! Voulez-vous un autre Sétif ?
Ils l’auront mais pas nous.
Tu m’as dit tout cela en riant.
Mais ta femme ne riait pas.
Et derrière ton rire, j’ai vu.
J’ai vu ton essentielle ignorance des choses de ce pays.
Des choses que je t’expliquerai. Peut-être partiras-tu, mais dis-moi, quand on te demandera : « Que se passe-t-il en Algérie ? » Que répondras-tu ?
Quand tes frères te demanderont : « Qu’est-il arrivé en Algérie ? » Que leur répondras-tu ?
Quand on voudra comprendre pourquoi tu as quitté ce pays, comment feras-tu pour éteindre cette honte que déjà tu traînes ?
Cette honte de n’avoir pas compris, de n’avoir pas voulu comprendre ce qui autour de toi s’est passé tous les jours.
Huit ans durant tu fus dans ce pays.
Et pas un morceau de cette énorme plaie qui t’ait empêché !
Et pas un morceau de cette énorme plaie qui t’ait obligé !
De te découvrir enfin tel.
Inquiet de l’Homme mais singulièrement pas de l’Arabe.
Soucieux, angoissé, tenaillé.
Mais en plein champ, ton immersion dans la même boue, dans la même lèpre.
Car pas un Européen qui ne se révolte, ne s’indigne, ne s’alarme de tout sauf du sort fait à l’Arabe.
Arabes inaperçus.
Arabes ignorés.
Arabes passés sous silence.
Arabes subtilisés, dissimulés.
Arabes quotidiennement niés, transformés en décor saharien. Et toi mêlés à ceux :
Qui n’ont jamais serré la main à un Arabe.
Jamais bu le café.
Jamais parlé du temps qu’il fait avec un Arabe.
A tes côtés les Arabes.
Ecartés les Arabes.
Sans efforts rejetés les Arabes.
Confinés les Arabes.
Ville indigène écrasée.
Ville d’indigènes endormis.
Il n’arrive jamais rien chez les Arabes.
Toute cette lèpre sur ton corps.
Tu partiras. Mais toutes ces questions, ces questions sans réponse. Le silence conjugué de 800 000 Français, ce silence ignorant, ce silence innocent.
Et 9 000 000 d’hommes sous ce linceul de silence.
Je t’offre ce dossier afin que nul ne meure, ni les morts d’hier ni les ressuscités d’aujourd’hui.
Je veux ma voix brutale, je ne la veux pas belle, je ne la veux pas pure, je ne la veux pas de toutes dimensions.
Je la veux de part en part déchirée, je ne veux qu’elle s’amuse car enfin, je parle de l’homme et de son refus, de la quotidienne pourriture de l’homme, de son épouvantable démission. »
Frantz Fanon
Camel Zekri
Représentations du spectacle Sous le peau prévues en France :
3 novembre : Institut des Cultures d'Islam dans le cadre du festival Villes des musiques du monde (Paris 18ème).
8 novembre : Espace Renaudie à Aubervilliers dans le cadre du festival Villes des musiques du monde.
10 novembre : Marseille dans le cadre des Rencontres l'échelle, festival pluridisciplinaire.
19 novembre : Aulnay sous bois.
29, 30 novembre et 1er décembre : Maison de la musique de Nanterre.
Pour en savoir plus sur le spectacle : lesartsimprovises@orange.fr
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