Interview : Didier Lapeyronnie « Le ghetto est à la fois une cage et un cocon… »
Tulin Sen : Dans votre dernier livre « Ghetto urbain, vous avez choisi un quartier de France pour y analyser précisément les logiques du ghetto. Comment faire pour éviter les choix imposés : se fondre dans le moule da la cité ou rester coincé entre son identité personnelle et celle assignée par le ghetto ?
Didier Lapeyronnie : Le ghetto est une expérience qui s’inscrit dans le rapport que les gens entretiennent avec eux-mêmes et c’est très compliqué, pour eux, d’y échapper notamment à un certain âge. C’est quelque chose qui protège du monde extérieur mais en même temps c’est un handicap individuel. Ils le fabriquent collectivement et ils essaient de s’en échapper individuellement.
Mais ce qui crée problème, c’est souvent la construction des identités de genre, notamment pour les femmes. Il est très difficile d’être complètement soi-même dans le ghetto : on est un personnage social, celui du ghetto.
Le ghetto se construit à l’intérieur mais il est d’abord créé à l’extérieur. C’est le produit de la ségrégation, du racisme, de la pauvreté. Les habitants fabriquent cette réalité par leur expérience vécue. Ils mènent une lutte en permanence pour échapper à cet espèce de déchirement. Au fond, il n’y a pas d’autre solution que de s’échapper, sinon il faut accepter ces dualités.
Quel est le point positif à souligner ?
Le ghetto est à la fois une cage et un cocon. C’est un monde de liens forts, pouvant être très étouffants, mais qui, en même temps, constituent une ressource.
Il faudrait des vraies politiques sociales et anti-raciales, mettre ces liens forts au service d’une capacité d’action. De ce point de vue, je suis très favorable aux politiques d’actions communautaires, les politiques de « empowerment », comme on dit dans les Amériques du nord au sud, c’est-à-dire qu’il faudrait donner plus de pouvoir aux gens.
Comment l’histoire peut-elle rendre la crédibilité à la France ?
La crédibilité de la France n’est pas tant liée à l’histoire qui, à mon sens, reste une question réservée à l’élite. L’histoire est, certes, importante mais elle me semble secondaire par rapport aux épreuves que vivent quotidiennement les gens. Dans le monde populaire, c’est l’expérience quotidienne de la violence policière, du racisme, de la brutalité de la justice qui pose problème d’où ce sentiment que la France ne veut pas de cette population. Donc c’est ici et maintenant qu’il faut que les choses changent. Si l’on veut que la France retrouve des capacités d’intégration, cela doit, d’abord, passer par le changement des pratiques, celles de la discrimination, du racisme quotidien et de la ségrégation.
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