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Force Sud
Marseille : Chourmo chez le père Pagnol
« Qu’on y soit né ou qu’on y débarque un jour, dans cette ville, on a vite aux pieds des semelles de plomb. Les voyages, on les préfère dans le regard de l’autre. De celui qui revient après avoir affronté « le pire ». Le drame, aujourd’hui, c’est que Marseille ne regardait même plus l’Orient, mais le reflet de ce qu’elle devenait. »
C’est Jean-Claude Izzo, dans un polar inti- tulé « Chourmo »*, qui met ainsi les pieds dans le plat. (traduisez Chourmo, pour faire vite, par « galère », ou plutôt « tous ensemble dans la même galère » !)
C’est vrai qu’à Marseille on a du mal à dire si l’on est aux portes de l’Orient ou au bout de l’Occident mais une chose est claire : on est au carrefour de plusieurs mondes, si bien que l’on ne sait plus trop auquel on appartient. Les questions d’identités sont ici primordiales, peut-être encore plus qu’ailleurs, car plus floues. Le sentiment d’exil est omniprésent. L’attachement viscéral à son quartier d’origine, l’attachement a ses racines culturelles et tout ce qui vous en éloigne fait question. Chez les jeunes des fameux « quartiers Nord », c’est peut-être encore plus juste. On y est isolé tout en haut des montagnes qui surplombent la ville, tout au bout de la route qui vient mourir entre les blocs A1, A2, A3...
Après le terminus du métro et après le terminus du bus. A gauche une forêt de pins, à droite, et en contrebas, une forêt d’immeubles plus ou moins défraîchis, et en face une superbe vue sur Marseille. Et, plus loin, la mer... C’est la Savine. Des ga- mins partout, des minots comme on dit ici, surtout de couleur, à vélo, avec des ballons, des cordes à sauter, qui jouent dans la rue... on se croirait en Afrique.
On est loin de tout alors forcément, pour s’extraire de ces quartiers, il faut pas mal de force. Les « semelles de plomb »... Mais il y en a quand même qui réussissent, et souvent on les critique : le cas IAM vient tout de suite à la bouche. Ahemed, du groupe B-Vice, de la Savine, porte un jugement mitigé sur le leader, modèle et locomotive du rap marseillais, comme bon nombre de jeunes des quartiers. Nord, selon lui. On parle surtout du décalage qui serait apparu entre discours du groupe, jugé de plus en plus sophistiqué, et la réalité des quartiers, où les problèmes sont encore primaires : chômage, violence, manque de perspectives ...
Pourtant Ahmed ne leur reproche rien. Il constate seulement que « IAM ne fait pas l’unanimité ». Ici on pense que, « ne vivant plus dans ces quartiers, ils se seraient coupés de leurs racines et de ce qui aurait fait leur réussite. » Oui, à Marseille, quoi qu’on en fasse, on est avant tout d’un quartier, et on le reste.
Premier acte : la Savine
De fait, B-Vice est resté implanté à la Sa- vine, depuis sa création dans le début des années 90. « On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de jeunes qui venaient à nos concerts. On a créé un petit engouement sur le quartier, et donc on a trouvé que c’était bête de ne pas pouvoir leur en faire profiter de manière régulière. Il ne fallait pas qu’ils s’attendent seulement un concert B-Vice pour être tous là, on a donc décidé de monter des ateliers hip-hop : danse, informatique musicale, expression
écrite et vocale ; théâtre de rue ...Tout ce travail était soutenu par des concerts qu’on faisait chaque année. » L’année 95 a été une année noire avec l’assassinat, par des colleurs d’affiches du FN, d’Ibrahim, un de leurs choristes. Consternation. Chourmo, on dit là-bas. Les concerts s’arrêtent, mais pas les ateliers. Ils ont alors l’impression d’avoir été punis, après beaucoup d’efforts « pour essayer de faire changer les idées préconçues des gens », en particulier des jeunes, pour qu’ils aient une vision moins noire de l’avenir.
1996 a été l’année du renouveau où les 45 Niggaz, l’un des groupes de B-Vice, a commencé à sortir du quartier. Mais « avec de nouvelles idées... A l’époque on trouvait qu’on était trop « dedans », qu’on ne nous parlait que de trucs qui nous concernaient directement, comme la violence des quar- tiers ou pas mal d’autres problèmes qu’on rencontrait tous les jours. Alors que main- tenant, on essaye de prendre du recul. On écrit de manière à ce que les gens puis- sent eux-mêmes réfléchir sur la situation. On n’essaye d’être crus. On ne veut plus être les petits rappeurs de quartier. On nous demande souvent de nous calmer, on nous dit qu’on va nous donner des bourses pour partir en vacances... ça nous a donné envie d’écrire un morceau, « les zoos de Marseille », dans lequel on s’identifie à des bêtes sau- vages qu’il est impossible de calmer. On ne veut pas que les gens aient pitié, mais qu’ils essayent de changer les choses ». Dans la galère, la dignité existe toujours, et on refuse le paternalisme de certaines institutions. Au bout du compte, la situation n’est pas rose. Lorsqu’on se pointe dans les minuscules locaux de répétition, on voit que si le groupe a été un peu soutenu
après l’affaire avec le colleur d’affiches, rien n’a vraiment changé. On peut difficilement s’empêcher de penser que cette aide était de circonstance, pour calmer les esprits. Aménagées au Rez de chausée de la Sa- vine, il y a une pièce de 15m2 à l’isolation approximative, en guise de studio et une pièce de 20m2 pour la danse, le tout res- semblant à un squatt.
Trois ou quatre filles, toutes jeunes, répètent des chorégraphies sous le regard de quelques garçons assis tranquillement dos au mur.
« Les filles, elles sont dans la danse. On a l’impression qu’elles considèrent que le chant est un domaine réservé aux garçons », nous dit Ahmed. Celles qui semblent se faire remarquer dans le milieu sont celles « qui n’ont pas des voix de filles. Le problème, quand tu entends des filles chanter, c’est qu’elles ont des voix un peu gentilles. Il faut une voix dure maintenant comme chez Sté Strauss ou Princesse Agnès... Le mouve- ment hip hop s’adapte à l’époque. Elle est dure, les groupes ont de plus en plus envie de s’engager. Avec un gouvernement de droite, la plupart des groupes ont eu envie de dénoncer. »
Erwan Ruty
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