Ségrégation française vue par Didier Lapeyronnie
Pourriez-vous nous expliquer l’état de la ségrégation sociale et raciale dans la ville et notamment au sein du logement social ?
C’est difficile de faire un état précis des formes de ségrégation sociale et raciale. Il me semble que nous observons en France depuis une trentaine d’années une progression régulière des formes de ségrégation et de concentration dans la ville des populations pauvres et des minorités ethniques ou raciales. C’est très net dans bien des villes de province, par exemple dans le sud-est, dans le sud et un peu partout dans des petites villes moyennes et plus grandes. C’est aussi net dans la région parisienne. Il suffit de prendre souvent le métro, la couleur des gens change en fonction des stations de métro. Aujourd’hui, ces phénomènes se sont relativement identifiés et marqués. Au sein du logement social, les choses se cumulent, c’est à dire qu’on a affaire à des populations pauvres et marquées par la discrimination et la ségrégation, elles se concentrent de plus en plus dans certains espaces qui sont des espaces pour pauvres de logement social.
Il y a une sorte de tabou en France là dessus : on ne va pas le dire, on ne va pas en parler... Mais il est, de fait, dans certains endroits, dans certaines cités où il n’y a plus de blancs. C’est pourquoi ces phénomènes de ségrégation me semblent exister même s’ils ne sont pas à des échelles forcément si grandes que ça. Elles peuvent être beaucoup plus micro selon les cages d’escalier, selon tel ou tel bâtiment... Et puis elles peuvent être variables aussi, tout dépendra de l’échelle retenue... Des statisticiens pensent souvent qu’il y a de la mixité sociale et/ou raciale mais quand y on regarde de plus près on s’aperçoit que ce n’est pas exactement vrai en terme de répartition des espaces et de logements. Tout cela s’explique en grande partie par un processus de construction : quand les gens augmentent leur revenu, ils quittent les quartiers déshérités, ils s’installent ailleurs dans des quartiers qui leur correspondent mieux. Ils mettent de la distance. Alors que les immigrés récents ou primo arrivant, se retrouvent dans ces espaces marqués par la ségrégation et se retrouvent entre eux. Là-dessus s’ajoutent des phénomènes de mis à distance qui portent sur l’école aussi, c’est à dire que l’on va dans des endroits où il y a de bonnes écoles, on quitte les écoles où il y a trop d’immigrés... ce qui accentue encore plus ces phénomènes de ségrégation. Je crois que la ségrégation de ce point de vue n’est pas un problème, c’est la solution du problème : pour les gens c’est une manière de se mettre à distance des pauvres, des immigrés...
Ne pas en parler...?! pourquoi serait-ce tabou ?
C’est un tabou pour des raisons idéologiques... c’est assez étrange! J’ai été ce matin dans un congrès HLM, j’y ai discuté avec l’une des responsables d’office HLM présente qui me disait que « nous, on n’est pas l’Angleterre, les États Unis... » J’ai été en Allemagne pour présenter mon travail et les Allemands disaient « c’est très intéressant ce que vous racontez mais nous, on n’a pas de ghetto comme les Français ». Ces pays voient la France comme une société qui est assez ghettoïsé comme nous nous voyons l’Angleterre... Je pense qu’il y a un tabou qui est lié à l’idéologie républicaine, c’est à dire que la République ne tolère pas une construction ethnique de la vie sociale et que le racisme structure les relations entre les gens. Je crois que c’est simplement une illusion et qu’il y a un tabou là-dessus qui fait que l’on en ne parle pas.
Cela induit souvent des pratiques notamment dans les pouvoirs locaux, des pratiques qui sont complètement schizophréniques. Les Maires des villes quand ils parlent politique, ils parlent souvent de la mixité sociale, de l’intégration etc. Puis quand ils composent leurs conseils municipaux qui gèrent la municipalité, ils raisonnent en terme de communauté, de quartier : Ils gèrent et financent les associations en fonction de ces critères... donc c’est un vrai tabou notamment au niveau de la parole et pas forcément au niveau de la pratique.
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