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Interview : Raquel Garrido
Pote à Pote : on parle, en évoquant l’Amérique Latine, d’un mouvement qui porte les peuples au pouvoir. Fantasme ou réalité ?
Raquel Garrido : Depuis la création du Parti des Travailleurs (PT) par Lula (ndlr : en 1980 au Brésil), on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de gauche qui rompt avec les mouvements socialistes et communistes, tout en étant ambitieuse vis-à-vis du pouvoir. Ce mouvement est né du refus que des multinationales continuent à exploiter les richesses naturelles du continent. Jusque là, toutes les tentatives populaires pour s’y opposer s’étaient soldées par des interventions (de militaires, de la CIA...) pour maintenir la situation. Désormais, les États-Unis ont moins de possibilité d’intervention, et on assiste à une mobilisation des citoyens pour accompagner cette politique de récupération des richesses. Les habitants sont impliqués car les leaders ont compris que leur pouvoir ne tenait pas uniquement dans une élection mais aussi dans le peuple.
Comment cela se concrétise-t-il ?
Le mot magique, c’est Constitution : en Équateur, les dirigeants se sont enfermés pendant une année dans un village pour recevoir et écouter tous ceux qui voulaient prendre part à la rédaction d’une nouvelle Constitution. En Bolivie, on a donné une identité légale à des millions d’indigènes qui n’en avaient pas. A Porto Alegre, au Brésil, à l’initiative du PT, on a mis en place un budget participatif avec les habitants. Toutes ces initiatives sont concomitantes, mais pas coordonnées.
Justement, pourquoi la situation se décante-t-elle maintenant ?
Lula fut l’outil de transformation politique d’un mouvement citoyen. Or, c’est la perspective d’un débouché politique qui donne envie de se mobiliser. L’absence de débouché, en revanche, est désespérante. Après, il existe de grand traits communs : le lien de ces dirigeants avec le mouvement syndical, comme pour le président Bolivien Evo Morales. Ou l’importante mobilisation autour des ressources en eau.
Ce mouvement peut-il inspirer l’europe ?
En tout cas, si les gauches européennes ne comprennent pas que l’histoire est la même là-bas et ici, si elles considèrent juste les présidents d’Amérique Latine comme des personnalités locales loufoques, elles n’ont rien compris. Le discours de ces dirigeants est un outil pour la gauche car il éloigne le seuil de l’utopie. Il est toujours désarmant de s’entende dire qu’on est un « doux rêveur ». Ce qui se passe là-bas prouve que c’est possible. Que les nationalisations sont possibles, que la privatisation est un appauvrissement. Que la gauche ici est en retard, à des années-lumières de tout ça. Et qu’il n’est pas concevable qu’elle en reste là.
Propos recueillis par Cyril Pocréaux
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