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Pour sauver la presse : l'émergence des talents populaires
"C'est parce qu'elle ne parle plus à une grande partie de la population que la Presse ne se vend plus ! ". Pour Erwan Ruty, fondateur de l'agence de presse Ressources Urbaines, la crise de défiance et la crise financière que vit la Presse française aujourd'hui est avant tout une crise de représentativité. La Presse ne parle plus aux lecteurs parce qu'elle ne parle plus de ses lecteurs : elle est en décalage par rapport aux éléments qui composent la grande majorité de la société réelle française. Mais, comment sortir les médias de ce gouffre ? Ou plutôt, grâce à qui...
La revendication de la Fédération Nationale de la Maison Des potes répond à cette question en proposant l'émergence des professionnels des médias issus des quartiers populaires. Mais d'abord, il faut reconnaître ce constat : ça ne sera pas facile. "Les directions de la presse écrite ou de la télé sont d'un conservatisme phénoménale". Ca fait bientôt 15 ans qu'Erwan Ruty, acteur associatif et rédacteur pour un certain nombre de médias depuis 1996-1997, ancien du Pote à Pote, créateur de Fumigènes Magazine et de Rasta Magazine, dresse cette analyse sur une société qu'il juge, sous cet angle, archaïque. A ses débuts, la jeunesse des quartiers ou la banlieue en tant que zone géographique étaient "des sujets abordés par la presse que dans ses pages police-justice, et faits divers". Aujourd'hui, les médias sont encore très conservateurs. Et très à côté de la plaque : " J'ai entendu des dirigeants dire "ça ne sert pas de parler aux banlieusards... ils sont de moins en moins cultivés" tu vois c'est la problématique de l'oeuf et la poule : si vous ne vous intéressez pas... les gens ne s'intéresseront plus à vous". Le décalage est là. Voilà pourquoi il y a crise. Un malaise. Un gouffre.
Le pète-plus-haut-de-mon-cul-isme et l'archaïsme ont pourtant été combattus. Il y a eu des évolutions positives. Du "racisme" à la "discrimination" jusqu'à la notion actuelle de "diversité", ces sujets "sont de moins en moins dans l'ombre comparés aux années 90, et depuis 2003, 2004, et les "Emeutes de 2005", la question de la précarité est une nouvauté" relativise Erwan Ruty. Du coup, la Presse française telle une bête obèse sous naphtaline, sort peu à peu de sa léthargie conservatrice : "aujourd'hui, il y a plein de comités. Des fondations, comme chez TF1. Des collaborations, comme entre le Bondy Blog et l'ESJ de Lille (l'école de journalisme). Tout ça, ça aide à accélérer la prise de conscience. Maintenant, faut voir au cas par cas." Ainsi, même si Rome ne s'est pas construite en un jour, Erwan Ruty reste sceptique sur la rapidité des entreprises en cours. "Le Comité (le Comité permanent pour la diversité de France Télévision), ça mérite d'exister mais les pouvoirs de son président, Hervé Bourges, ne sont pas à la hauteur des enjeux : le comité, c'est de la préconisation, il n'y a rien de directif." Au-delà du cas par cas, pour Erwan Ruty "la situation s'est tellement déterriorée, les inégalités tellement agrandies : les petits pas positifs faits par les médias sont beaucoup trop lents comparés à la déterrioriation qui, elle, s'est accélérée." Ainsi, malgré les évolutions positives, tout reste encore à faire. Ou à continuer. Plus vite. Mais comment ?
"J'en appelle au dialogue". Erwan Ruty veut rappeler, au CSA, à Radio France, à France Télévision, la mission première du service public : "rendre compte de l'intégralité de ce qu'il se passe du territoire et de ceux qui y habitent". A court terme, il n'est pas optimiste, mais à moyen terme : "oui!". Pourquoi ? "Parce que la diversité de la société française va devenir incontournable. Et parce que dans toutes les crises, la raison finit par l'emporter. " Le directeur de Ressources Urbaines croit en la prise de conscience de la part des médias français, qu'ils vont devoir compter sur ces talents issus des quartiers populaires, et "en plus, comme ça, les médias recommenceront à gagner de l'argent".
Les propos d'Erwan Ruty
ont été recueillis par dolpi
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